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Enjeux des innovations technologiques dans la sécurisation routière au Cameroun

La route tue au Cameroun, et les accidents de la route occupent de façon continue, les unes de l’ensemble des médias. A titre d’illustrations, les annonces qui suivent, qui sont loin d’être exhaustives :

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  • le 14 mai 2022, un autobus de soixante-dix places en provenance de Douala et se dirigeant à Yaoundé a percuté de plein fouet un camion venant en sens inverse, dans la localité de Boumnyebel, provoquant la mort de dix-neuf personnes ainsi que de nombreux blessés ; 
  • le dimanche 8 mai 2022, à proximité du village Ntoung sur l’axe Abong Mbang-Yaoundé, un véhicule de tourisme qui voulait éviter un nid de poule sur la chaussée entre en collision avec un porte-char roulant en sens inverse. Tous les sept occupants de la voiture sont tués; 
  • les 4 et 5 août 2021, quarante personnes ont été tuées et des dizaines d’autres blessées dans trois accidents de la route impliquant des autobus ; 
  • dans la nuit du 26 au 27 janvier 2021, cinquante-trois personnes ont été tuées dans la collision entre un autobus et une camionnette transportant du carburant sur l’axe Douala-Dschang ; 
  • le dimanche 9 août 2020 sur l’axe Bafoussam-Foumbot, une camionnette transportant des passagers dérape et fait plusieurs tonneaux : le bilan est de douze morts et soixante blessés graves.

Selon une note de la Banque Africaine de Développement (BAD) relative au secteur des transports au Cameroun, le rapport du nombre de tués rapporté au nombre de véhicules est extrêmement élevé: un véhicule provoque en moyenne 123,8 fois plus de décès au Cameroun que dans les pays développés, avec un facteur comparatif nettement supérieur, lorsqu’il s’agit de mener des comparaisons avec des pays comme le Japon (229,7), l’Allemagne (187,2) ou la France (144,2). Un accident de la route en Afrique du Sud tue 9,6 fois moins de personnes qu’au Cameroun. Pour ce qui concerne les Etats membres de la CEMAC, les indicateurs sont meilleurs pour le Congo (1,5) et inférieurs pour la RCA (0,7) et le Tchad (0,6). On enregistre annuellement sur le réseau routier camerounais, environ deux mille accidents, qui font plus de mille tués et près de cinq mille cinq cent blessés. 

Selon les statistiques du ministère des transports, les causes principales des accidents sont humaines dans 70% des cas, 20% des causes étant attribués aux causes mécaniques et 10% à l’état des routes. Excès de vitesse, fatigue et somnolence, distractions diverses sont donc ainsi les facteurs humains les plus cités. Les accidents de la route se présentent aujourd’hui comme l’une des principales causes de mortalité dans la tranche d’âge des moins de 25 ans qui représentent plus de 40% des victimes de la route.

Les estimations faites dans le cadre de l’étude d’Élaboration de la Stratégie Nationale de Prévention et de Sécurité Routière (2009) évaluent les pertes économiques subies par le Cameroun à près de 100 milliards de francs CFA par an, soit l’équivalent de 1 % du PIB national. Comparées aux urgences de développement qui s’imposent au Cameroun, ces pertes représentent, en termes de réinvestissement perdu, l’équivalent d’environ 10 000  salles de classes équipées d’une moyenne de 20 000 000  de francs CFA par an, pour couvrir l’essentiel des besoins du pays en salles de classe en deux ans ; plus de 250 kilomètres de routes bitumées (au ratio de 40  milliards de francs CFA les 100 kilomètres);  huit hôpitaux de référence dotés d’un investissement en équipements moyen de 12,5 milliards tous les ans, de quoi doter toutes les régions du pays en hôpitaux de référence en deux ans.

Les accidents de la route représentent donc un impact économique considérable dans la gouvernance du Cameroun. Par sa flexibilité et son accessibilité, le transport routier constitue le principal mode de déplacement des personnes et des biens et par le fait même, il apporte une contribution substantielle à la lutte contre la pauvreté. Il assure près de 90% de la demande intérieure de transport de voyageurs, et près de 75% de la demande de transport de marchandises. 

De nombreuses initiatives prises par le ministère des transports en charge de la politique nationale de prévention routière, tardent cependant à porter des fruits. Les campagnes de prévention routière, les sessions de formation des chauffeurs des agences de transport ou encore l’introduction de radars sur les route se révèlent tout juste comme des solutions temporaires et relativement efficaces. 

L’analyse des chiffres produits par le ministère des transports indique que la sécurité routière connaît une évolution en dents de scie en matière de nombre d’accidents. Le ministère des transports a élaboré de nombreuses stratégies, et mis en place des plans d’action prioritaire : c’est le cas des sessions de formation des chauffeurs des agences de voyage, l’utilisation de radars de contrôle de vitesse et d’alcootests, etc. A ces initiatives, on peut ajouter les prestations de contrôle technique de véhicules.

Comment l’innovation technologique peut-elle améliorer la sécurité routière?

Avec les développements technologiques en cours, il est loisible de s’interroger sur l’apport de nouvelles solutions combinant l’Internet des objets (IoT) et l’intelligence artificielle (IA) dans l’amélioration de la sécurité routière au Cameroun, ce d’autant plus que les accidents survenus sur les routes sont à 70% provoqués par des causes humaines, et sont donc susceptibles d’être corrigées. 

Mais qu’est-ce que l’Internet des objets? 

Cette technologie met en réseau des objets, des appareils ou des véhicules incorporant des capteurs, des logiciels, une connexion réseau et des capacités de calcul pouvant collecter et échanger des données via Internet. En résumé, cette technologie offre la possibilité de mettre les appareils en réseau, en les pilotant ou en les contrôlant à distance.

Quant à l’intelligence artificielle, elle est une suite d’algorithmes capables d’effectuer des tâches qui font normalement appel à l’intelligence humaine, telles que la perception visuelle, la reconnaissance vocale ou faciale, la prise de décision et la traduction. Elle se présente comme un concept « parapluie » qui englobe de nombreuses sous-catégories telles que l’apprentissage automatique, centré sur le développement de programmes pour apprendre à assimiler, à comprendre, à raisonner, à planifier et à agir, à devenir plus « intelligents » lorsqu’ils sont mis en contact avec de nouvelles données dans des quantités appropriées. Des cas de figure, nombreux, indiquent que la combinaison de ces nouvelles technologies peut permettre de développer des solutions efficaces, pour renforcer la sécurité sur nos routes et réduire ainsi de façon drastique les pertes en vies humaines que nous y déplorons.

Dans cette perspective, les médias camerounais ont annoncé il y a quelques mois, la signature le 18 février 2022 par le ministère des transports, d’un partenariat avec la société Camtrack, spécialisée dans les solutions de sécurité pour automobiles et MTN, opérateur de téléphonie mobile fort connu, pour le développement et la mise en place d’une solution visant à prévenir et à réduire drastiquement les accidents de la circulation, et l’anticipation des comportements de conduite à risques chez les conducteurs de poids lourds. Cette initiative semble placer résolument le Cameroun au rang des pionniers dans le domaine de l’utilisation de technologies nouvelles pour la sécurité routière en Afrique. 

Nous nous sommes intéressé aux résultats enregistrés dans cette perspective, afin de comprendre la vision stratégique de cette dynamique, identifier ses modalités d’action et situer le registre des ressources qu’elle mobilise. En particulier, nous avons souhaité fixer l’échelle des résultats obtenus dans la phase pilote qui s’est étendue de septembre 2021 à décembre 2022.

La solution proposée par le partenariat Camtrack/MTN consiste en l’installation de 4 caméras intelligentes dans chaque autobus. Ces dernières sont reliées à des centres de contrôle et de monitoring logés au sein des agences de transport et au ministère des transports. L’autobus est ainsi connecté par liaison radio permanente avec les centres de contrôle. Les contrôleurs peuvent, en temps réel, suivre les infractions et les incidents sur le parcours de l’autobus. Ils disposent également d’un « Panic Button » qui, en cas d’urgence, permet de solliciter une assistance. En cas d’accident, les données sur la vitesse du véhicule sont rendues disponibles et ces informations peuvent être utilisées par les services de police et/ou de gendarmerie, pour mieux comprendre et analyser les causes de l’accident. Le comportement du chauffeur sur la chaussée peut également être suivi via le système de caméras, et des données sur la somnolence au volant, les excès de vitesse, les mauvais dépassements, le port ou non de la ceinture de sécurité, l’utilisation du téléphone portable pendant la conduite, les temps de conduite et de repos sont également répertoriés. Toutes ces données sont reliées au profil biométrique du chauffeur, offrant ainsi une possibilité d’analyse et de suivi des conducteurs avec plus de précision. In fine, l’autobus bénéficie, sur son trajet, d’un suivi en temps réel, ce qui permet de détecter toute situation anormale durant le voyage et de pouvoir intervenir rapidement.

Nous avons pu recueillir quelques données chiffrées, sur les résultats obtenus par la solution proposée par Camtrack/MTN, auprès d’un distributeur de produits pétroliers ayant équipé du dispositif 300 camions de sa flotte de transport, depuis 2020 : les résultats sont globalement satisfaisants. La flotte ciblée enregistre plus de 28, 5 millions de kilomètres parcourus, et un total de 10 accidents en 3 années, soit un taux de sinistralité de 3% dans le champ temporal arrêté. En outre, il apparaît qu’aucun de ces incidents n’engageait directement la responsabilité des camions de ladite flotte.

Dans le domaine du transport des passagers, la phase pilote a concerné 193 véhicules, sur une période de plus de 12 mois. Durant cette période, 4 accidents ont été enregistrés, pour près de 6, 8 millions kilomètres parcourus, soit près de 35, 5 mille kilomètres par véhicule, avec un taux de sinistralité de 2%. Au compte de ces 4 accidents, un seul engageait directement la responsabilité du conducteur de l’autobus.

Quels bénéfices escomptés ?

En combinant les solutions offertes par les innovations technologiques avec toutes les autres approches mises en œuvre par les autorités gouvernementales, dans une perspective inclusive et de complémentarité, on peut s’appuyer sur les résultats de la phase pilote et entrevoir de nombreux gains pour l’économie nationale, autant que pour les usagers et leurs familles, mieux rassurés d’emprunter les moyens de transport collectifs. Pour les transporteurs, il s’agirait de préserver ainsi leur investissement matériel, et d’améliorer leur qualité de service, en préservant leur bonne réputation. Quant aux assureurs, ils ne seraient pas en reste, avec une baisse de 30 à 40% du taux de sinistralité. Le ministère des transports pourrait, lui, se rapprocher de l’atteinte de ses objectifs fondamentaux en matière de sécurité routière.

Une autre situation militerait fortement en vue de l’utilisation des innovations technologiques : l’actualité récente observée sur les routes du triangle Douala-Yaoundé-Bafoussam, ou des autobus et des véhicules de tourisme sont attaqués par des bandes de coupeurs de route, avec un modus operandi bien précis : ces criminels projettent une pierre massive sur le pare-brise du véhicule, et lorsque celui-ci s’immobilise, ils en profitent pour s’y introduire et dépouiller les passagers.

Les autorités gouvernementales disposent donc de solutions efficientes à tous égards, pour rendre nos routes davantage plus sûres. Il ne leur reste plus qu’à passer à l’action, par la mise en œuvre des engagements qu’elles ont résolu de prendre, dans le cadre du partenariat susmentionné. 

Bouba Kaélé

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