
En 2026, l’économie camerounaise s’apprête à franchir un cap stratégique. Après plusieurs années marquées par les chocs externes, la pression inflationniste et la prudence budgétaire, le pays entre dans une phase où les choix d’investissement, de gouvernance et d’innovation auront un impact déterminant sur son ambition d’émergence. La SND30 redessine les priorités nationales, les entreprises affûtent leurs stratégies face à un marché plus concurrentiel, tandis que les investisseurs scrutent les signaux d’un repositionnement structurel.
Dans cet environnement en mouvement, dix secteurs apparaissent comme des baromètres essentiels de la transformation économique : agribusiness, énergie, mines, BTP, logistique, numérique, finance, santé, formation et économie verte. Autant de domaines où se jouent la création d’emplois, la compétitivité des entreprises, la souveraineté industrielle et la résilience du pays.
Cet article propose un décryptage approfondi de ces filières clés, pour comprendre où se dirigent les opportunités, quels acteurs se démarquent et comment 2026 pourrait devenir une année pivot pour le Cameroun.
1. Agribusiness et agro-industrie : le cœur de la transformation
L’agriculture emploie encore près de 62 % de la population active, principalement dans des exploitations familiales peu mécanisées. Pour sortir du piège du revenu intermédiaire, le Cameroun n’a pas le choix : il doit transformer beaucoup plus localement ses matières premières (cacao, café, huile de palme, coton, maïs, manioc, élevage, pêche).
Le gouvernement a lancé un plan intégré 2024-2026 de 1 500 milliards de F CFA pour booster la production et la transformation agricoles ; près de 250 milliards ont été mobilisés dès la première année, même si les résultats sont jugés encore mitigés. Dans le même temps, les intrants renchéris, le changement climatique et des maladies comme la pourriture brune affectant fortement le cacao compliquent la donne.
À surveiller en 2026 :
- les projets de zones agro-industrielles autour de Kribi, du Mbam, de la Sanaga et de la Lékié ;
- la montée des solutions de climate-smart agriculture (irrigation intelligente, data, IA, traçabilité blockchain), déjà portées par des acteurs comme AgricFresh ou d’autres start-up locales
- la structuration des chaînes de valeur (coopératives, contrats de culture, agro-financement).
2. Énergie et transition énergétique : sécuriser la puissance industrielle
Entre 2018 et 2025, le secteur électrique a connu un saut de capacité, notamment avec la montée en puissance de grands barrages comme Nachtigal, destinée à réduire les délestages qui pénalisaient les industriels. Parallèlement, le gaz naturel, le solaire et les mini-réseaux ruraux deviennent centraux dans les discussions sur la transition énergétique.
La première exportation d’essence du mégaraffinage Dangote au Nigeria vers le Cameroun en 2024 illustre aussi une nouvelle géographie régionale du marché des carburants et des enjeux de sécurité énergétique.
En 2026, les points chauds seront :
- l’intégration effective de la nouvelle capacité hydraulique dans le réseau et la réduction des pertes techniques ;
- les incitations réglementaires pour le solaire (toitures industrielles, mini-grids, hybridation des centrales thermiques) ;
- la place des opérateurs privés dans la distribution et les PPP pour l’électrification rurale.
3. Mines et métallurgie : un tournant à encadrer
Le Cameroun se prépare à un possible « mini-boom » minier. Quinze projets sont proches de l’entrée en production, selon le ministère des Mines : fer, bauxite, or, rutile, cobalt…
Bien encadré, ce pipeline peut générer des milliards d’investissements, des milliers d’emplois directs et des recettes fiscales significatives. Mal géré, il peut amplifier les tensions sociales, environnementales et les risques de corruption.
En 2026, les enjeux clés seront :
- la mise en service progressive des grands projets (Minim-Martap, Mbalam-Nabeba et autres) et la disponibilité des infrastructures d’évacuation (chemins de fer, ports) ;
- la capacité de l’État à imposer un contenu local réel (sous-traitance, emplois, transformation primaire) ;
- le respect des normes ESG, condition d’accès à certains financements internationaux.
4. BTP, infrastructures et matériaux de construction : le moteur cyclique
L’effort d’infrastructures mené depuis cinq ans a vu la construction ou la réhabilitation de plus de 2 100 km de routes entre 2018 et 2023. L’autoroute Yaoundé-Douala reste en chantier, avec deux tiers encore non revêtus fin 2024, mais son achèvement doit réduire le temps de trajet à environ 2h30, contre 4 heures aujourd’hui.
À court terme, la relance des chantiers routiers, des ponts, des ouvrages hydrauliques, des logements et des infrastructures sociales (hôpitaux, écoles) soutiendra la demande en ciment, fer à béton, matériaux locaux et services d’ingénierie.
2026 sera une année test pour :
- la capacité de l’État à payer les entreprises à temps dans un contexte de déficit budgétaire accru ;
- la montée en gamme des acteurs locaux du BTP sur des projets complexes (autoroutes, ouvrages spéciaux) ;
- l’émergence de solutions de construction plus vertes (ciment bas carbone, briques stabilisées, bois certifié).
5. Transport, logistique et hubs portuaires : Kribi, Douala et l’hinterland
Le Cameroun s’affirme comme hub logistique de l’Afrique centrale, au service du Tchad, de la RCA et, à terme, de la RDC. Kribi, seul port en eau profonde du pays, attire des acteurs mondiaux comme CEVA Logistics, qui y a renforcé sa présence pour capter la croissance des échanges et positionner le site comme hub régional.
Des financements additionnels de la BAD sont prévus pour désenclaver davantage la zone industrielle et portuaire de Kribi et en renforcer la connectivité routière.
Ce qu’il faudra suivre en 2026 :
- l’accélération des travaux routiers autour de Kribi, du port de Douala et des corridors vers le Tchad et la RCA ;
- la modernisation des terminaux (digitalisation, traçabilité, dématérialisation douanière) ;
- l’implantation de nouveaux entrepôts, zones logistiques et plateformes de distribution e-commerce.
6. Économie numérique, tech et fintech : de l’écosystème à l’industrialisation
Le Cameroun voit émerger un écosystème digital plus structuré : hubs d’innovation, incubateurs, hackathons, événements comme le Cameroon International Tech Summit où l’UNDP insiste sur l’importance d’un « écosystème numérique robuste » pour atteindre les ODD.
Les fintechs (paiement mobile, agrifinance, microcrédit digital), les start-up e-santé, edtech, logistique ou énergie off-grid se multiplient, mais peinent encore à franchir l’échelle industrielle (scaling).
En 2026, les lignes de fracture seront claires :
- régulation des fintechs et open banking ;
- mise en œuvre réelle de la dématérialisation de l’administration (e-tax, e-douane, identité numérique) ;
- accès au financement (fonds d’amorçage, capital-risque local, lignes de garantie pour les banques).
7. Finance et inclusion financière : de la banque classique au capital patient
Le système financier camerounais reste dominé par quelques banques et établissements de microfinance, tandis que le mobile money a massivement bancarisé par le téléphone des populations auparavant exclues. Mais le défi majeur demeure : financer les PME et les projets structurants dans la durée.
Le cadre de « financement durable » présenté par le ministère des Finances insiste sur la nécessité d’aligner les flux financiers sur les objectifs de développement durable et la transition verte.
En 2026, seront déterminants :
- le développement de produits de dette verte (green bonds, sustainability-linked bonds) pour financer les infrastructures, l’énergie propre et l’agriculture durable ;
- l’amélioration du partage de risque (fonds de garantie, co-financements avec les bailleurs) ;
- la professionnalisation de la gestion des risques dans les IMF pour éviter les crises de liquidité.
8. Santé, pharma et industries médicales : un secteur encore sous-investi
La pandémie a rappelé la dépendance extérieure du pays en médicaments, équipements médicaux et consommables. Pourtant, la demande structurelle explose : démographie jeune, urbanisation rapide, montée des classes moyennes, transition épidémiologique (maladies non transmissibles).
Les priorités de la SND30 incluent le renforcement du système de santé, la montée en capacité des hôpitaux publics, l’augmentation de la couverture maladie et le soutien à une production locale de médicaments essentiels.
2026 peut marquer un tournant si :
- des projets d’unités pharmaceutiques locales se concrétisent (génériques, intrants médicaux, dispositifs simples) ;
- les PPP hospitaliers et la télémédecine se structurent ;
- les régulateurs mettent l’accent sur la qualité (lutte contre les faux médicaments) et la collecte de données sanitaires.
9. Éducation, formation professionnelle et capital humain : la vraie bataille de la compétitivité
La SND30 insiste sur le capital humain comme condition de l’émergence. Or, les entreprises manquent encore de profils intermédiaires (techniciens, développeurs, opérateurs de maintenance, commerciaux structurés) et les jeunes diplômés peinent à s’insérer.
Les écoles de management, d’ingénieurs, les centres de formation professionnelle, mais aussi l’edtech (formations en ligne, bootcamps, certifications internationales) montent en puissance, souvent en partenariat avec des acteurs étrangers.
En 2026, les enjeux seront :
- l’adéquation formation-emploi, notamment dans l’agro-industrie, le BTP, les mines, le numérique ;
- la montée des certifications professionnelles reconnues à l’international ;
- l’intégration des compétences digitales (data, IA, cybersécurité) dans les cursus classiques.
10. Économie verte, climat et gestion des déchets : de la contrainte à l’opportunité
Selon le FMI, le changement climatique représente une menace majeure pour l’économie camerounaise, avec des pertes d’output potentielles élevées et des risques accrus sur la sécurité alimentaire, la pauvreté et les conflits.
Mais cette contrainte ouvre aussi un nouveau champ d’opportunités :
- agriculture et foresterie durables, agroforesterie portée notamment par des initiatives féminines qui renforcent la résilience des communautés rurales ;
- solutions de gestion des déchets, recyclage des plastiques, valorisation organique (compost, biogaz) dans les grandes villes ;
- projets de restauration des mangroves, reboisement et crédits carbone.
2026 sera une année charnière pour :
- l’accès des projets verts aux financements internationaux (fonds climat, blended finance) ;
- l’adoption d’incitations fiscales et réglementaires pour le recyclage et les énergies propres ;
- la capacité des collectivités locales à structurer des partenariats avec le secteur privé dans les déchets et l’assainissement.
Avec une croissance attendue autour de 4 % mais un déficit budgétaire en hausse, le Cameroun aborde 2026 avec un défi clair : transformer une reprise encore fragile en croissance structurelle, inclusive et durable.
Les dix secteurs à surveiller ( agribusiness, énergie, mines, BTP, logistique, numérique, finance, santé, éducation et économie verte ) ne sont pas seulement des « niches » de croissance. Ils sont la matrice où se joueront la souveraineté économique, l’emploi des jeunes, la montée en gamme industrielle et la capacité du pays à tenir son ambition d’émergence à l’horizon 2030.
Pour les dirigeants et investisseurs, 2026 ne sera pas une année d’observation passive, mais un moment pour se positionner, structurer des alliances et prendre des risques calculés dans ces chaînes de valeur stratégiques.
Mérimé Wilson




