Interview

Interview: Me Brigitte ADA NNENGUE, l’icône du Droit des affaires en Afrique francophone

Me Brigitte ADA NNENGUE LEBRETON est avocat-arbitre, Conciliatrice au CIRDI, médiateur – Formatrice en Médiation. Directrice Pédagogique de la SCP CEPFOMEN, Présidente élue de l’Association CAMA (Conseil des Avocats Médiateurs diplômés d’Afrique. En exclusivité son interview pour l’édition de Mars 2021 de Cameroon CEO Magazine

Vous êtes la toute première avocate à avoir ouvert seule un cabinet à Douala au début des années 80. Une véritable pionnière du droit des affaires au Cameroun, quel bilan dressez-vous de votre longue et riche expérience professionnelle ?

En fait, c’est en 1982 que j’ai ouvert mon cabinet seule en tant que femme. Toutes les autres consœurs que j’ai trouvées travaillaient en collaboration dans les cabinets des hommes, notamment Me VIAZZY- AUBRIET,  Me NININE, Me YONDO BLANCK etc …

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Ce ne fut pas facile au début avec les confrères qui ont voulu m’intimider aux audiences, mais je me suis vite imposée et faite respecter par mon travail et ai pris ma place. Celà a encouragé les autres consœurs à s’installer en voyant que je m’en sortais bien.

Le Bilan que je dresse de mon expérience professionnelle en tant qu’Avocate, est satisfaisant en ce que ce métier passionnant m’a beaucoup appris sur le plan professionnel et humain. Car nous sommes tous sujet de droit. Et en plus de la déontologie, il y a des règles de vie qu’une femme Avocate doit respecter pour se faire respecter et réussir : ne pas avoir de relations amoureuses avec un client, un magistrat, et même un confrère.

Ce métier m’a tout apporté. En ce qu’il m’a permis :

  • De gagner honnêtement ma vie, d’élever dignement ma fille, de devenir une femme LIBRE et INDEPENDANTE.
  • De satisfaire les besoins de ma famille (mes parents, frères, sœurs, neveux, nièces, voir les cousins et cousines du village qui avaient des problèmes de santé et de scolarité).                                                                     
  • De former 7 avocats, parmi lesquels, Maître Gabriel Parfait KALDJOB, un jeune homme brillant, travailleur, tenace, appliqué, honnête et qui fut major au Cameroun à l’examen de sortie de sa promotion comme Avocat. C’est une force tranquille, déterminée qui sait s’imposer et gérer les personnes sans élever le ton.

De créer en 2014 avec Me KALDJOB, la SCP CEPFOMEN (Centre de Médiation et de Formation à la Médiation, à la Négociation et au Droit OHADA) qui est le premier Centre de formation des Médiateurs Diplômés en Afrique Centrale et de signer un accord de partenariat avec le C.M.A.P. (Centre de Médiation et d’Arbitrage de Paris, créée par la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris) et l’IFOMENE (Institut de Formation à la Médiation et à la Négociation) de l’Institut Catholique de Paris pour la formation des Médiateurs au Cameroun. Contrat validé par le Recteur de l’ICP qui l’a signé et apposé son cachet.

Maître KALDJOB Gabriel Parfait qui a ajouté la formation de fiscaliste à son arc a, à son tour formé bien plus d’Avocats que moi. M’a soutenue par son travail et ses sponsors dans les formations assurées par la SCP CEPFOMEN et payé sa formation et celle de certains de ses collaborateurs qui sont devenus des Médiateurs Diplômés.

Je parle de Maître KALDJOB pour lui rendre hommage, parce que ses qualités et valeurs humaines m’ont amenée à l’adopter comme mon fils spirituel qui prendra ma relève dans la gestion et la direction de la SCP CEPFOMEN quand celle-ci aura atteint un rythme de croisière. Former des enfants qui réussissent dans la vie et deviennent dignes de vous succéder est le rêve et la fierté de tout Formateur.

  • D’avoir des moyens pour m’investir dans des associations humanitaires et à faire soigner gratuitement pendant quinze ans à travers presque toutes les régions de notre pays, des centaines de personnes nécessiteuses, grâce à l’Association Esculape Chirurgie Lions Club Cameroun que j’avais créé, filiale de l’Association Esculape Chirurgie Lions Club de France qui nous envoyait chaque année des chirurgiens Ophtalmologues, des chirurgiens généralistes et des chirurgiens – dentistes, ainsi que beaucoup de médicaments et des lunettes médicales.
  • De préparer ma retraite dans le domaine de l’immobilier. Ce qui me permet aujourd’hui de vivre à l’aise de mes loyers, de financer pour le moment le fonctionnement de la SCP CEPFOMEN et de former les dix premiers Médiateurs Diplômés titulaires du Diplôme Universitaire de Niveau I dont l’équivalence nous a été octroyée par notre partenaire contractuel : l’IFOMENE de l’ICP.

Parmi les dix médiateurs diplômés formés par la SCP CEPFOMEN, avec l’aide de la Société MAHIMA qui nous a aussi  payé un  billet d’Avion cher d’un formateur il y a : un Magistrat de la Cours Suprême, (le Conseiller ZIBI NSOE), une Directrice Générale Adjointe d’une société forestière (Madame Michelle ROUCHER AZAR),  un Ingénieur de pétrole (Madame Anne Marie KUOH), deux DRH de la société SCTM (Mme Isabelle NFOULOU BELINGA et Adèle LEUKOUE) le Sous – préfet de Kribi 1er (Monsieur MANGA François) plusieurs Avocats, dont Maître Marie Andrée NGWE, l’actuel Présidente du Centre de Médiation et d’Arbitrage du GICAM, Maître Gabriel Parfait KALDJOB mon Associé au CEPFOMEN, Maître BALENG MAAH, Me Charlotte Mireille MEGANG Victorine).

Il y a aussi six Directeurs Régionaux de la société CAMWATER à savoir : Messieurs : NDONGO DIN, EBOT OBALLE David,  Jean Marie BA’ANA, MAHAMAT ABADJI,  MBIDA Raoul et ONANA Pascal Simon Pierre qui ont obtenu le Certificat de «FORMATION DIPLOMANTE A LA MEDIATION COMMERCIALE ET AUX TECHNIQUES DE NEGOCIATION ».

Je peux dire sans fausse modestie que mon métier d’Avocate a fait de moi, une femme accomplie, indépendante et libre mais aussi permis d’assouvir ma passion des arts, en me permettant de collectionner depuis une trentaine d’années, l’art de africain et des perles de presque tous les pays d’Afrique et de faire la promotion des peintres africains que j’expose dans la galerie de ma fille qui s’appelle LA GALERIE CARLAD à l’ATRIUM.

Vous êtes reconnus par vos pairs comme une boulimique du travail, d’où puisez – vous votre motivation ?

D’abord j’aime le travail bien fait, et à ce titre, je suis exigeante vis-à-vis de moi-même, de mes employés et des membres de ma famille.

Ensuite, J’ai toujours eu plein d’idées et de projets que j’aimerais réaliser. Ce qui fait que je ne connais pas l’ennui du désœuvrement et fais souvent plusieurs choses en même temps. Et comme je fais avec passion et amour tout ce que j’entreprends, eh bien j’aime travailler, réaliser et réussir ce que je fais.

Le travail est aussi un refuge qui me permet de surmonter les difficultés inhérentes à la vie. En me jetant corps et âme dans le travail, je transcende les difficultés et avance. Je peux dire aussi que le travail me maintient et m’entretient physiquement et mentalement, en plus du sport que je m’efforce à faire chaque matin pour conserver la mobilité de mes articulations qui prennent de l’âge.

 Quelle a été votre plus grand accomplissement dans votre carrière ?

J’aurais voulu être médecin pour soigner et soulager les malades. Car sans la santé, on n’est rien, malgré l’immense fortune que l’on peut avoir.

C’est pourquoi, soigner les nécessiteux grâce à l’Association Esculape Chirurgie Lions Club Cameroun est un grand accomplissement dans ma carrière comme « Homme ».  Former les gens en leur transmettant le peu de savoir et d’expérience que j’ai accumulés est un grand accomplissement également. Car c’est marquer son temps et laisser une empreinte de son passage sur terre après sa mort. La formation est une richesse immatérielle plus importante que la fortune matérielle. La formation est investissement qui permet à l’homme de se réaliser.

 Tous ce que l’on apprend est utile à un moment où un autre. Ne pas transmettre c’est castrer l’avenir. C’est pourquoi, mon dernier combat c’est de promouvoir et faire appliquer la médiation au Cameroun et en Afrique. Elle est très importante pour la paix sociale et le développement économique de notre pays.

Est-ce que vous avez des regrets ?

Oui, pour une affaire que nous avons gagnée sur le plan juridique mais qui fut une perte économique et sociale pour notre pays. C’est l’affaire REEMTSMA CIGARETTEN FABRIKEN C / SITABAC. Le Cameroun a perdu un fleuron de notre industrie et beaucoup d’emplois à cause de l’EGO démesuré de certaines personnes. Et aujourd’hui SITABAC n’existe plus que par un immeuble fantôme qui trône sans personne et sans vie en face de la Chambre de Commerce.

Les deux parties ont finalement perdu. Mais la partie camerounaise plus encore par des centaines de familles, (pères, femmes et enfants) qui se sont retrouvés subitement sans subsides par fermeture d’usine et suppression d’emplois.   Et certains juges portent une part de responsabilité dans cette affaire à cause des décisions injustes rendues qui ont conforté les egos de certains au lieu d’envoyer ou d’encourager les parties à s’asseoir à la table de négociation. Ce d’autant plus qu’il y avait une clause compromissoire dans leur contrat.

Un nationalisme injuste qui viole de manière flagrante la loi n’est pas fait pour encourager les investisseurs à venir chez nous. Ce dossier à amener l’OAPI à modifier les dispositions d’un texte mal et abusivement utilisé pour protéger la partie africaine.

Ce type de comportement justifie les sentences tout aussi injustes rendues contre les Etats Africains par les Arbitres de certaines institutions comme le « CIRDI ». Ce dossier fut aussi le premier où ouvertement, on failli porter atteinte à la vie d’un Avocat qui ne faisait que son travail . Tout ça, est à déplorer.

Vous êtes une grande défenseuse de la médiation, pourquoi une telle passion pour ce mode de règlement de conflit ?

  • La Médiation met l’homme au centre de ses préoccupations. Le responsabilise pour qu’il soit l’acteur et l’auteur de la décision à rendre dans le litige qui l’oppose à l’autre partie.
  • La médiation est rapide, ce qui entraine un gain très important de temps en ce qu’elle permet de résoudre les conflits en quelques heures et au trop 6 mois.                                                       
  • Ses coûts sont maîtrisés, c’est-à-dire relativement peu élevés comparativement à  l’arbitrage et la justice étatique.
  • Le processus de médiation est confidentiel. Rien de ce qui se dit ou s’échange comme informations ou documents dans un processus de médiation ne peuvent être rapportés ou utilisés au dehors ni par les parties, ni par le médiateur ni par la justice, ni par l’arbitre.                                                                                                                    
  • C’est un processus volontaire, régi par certaines règles et notamment l’indépendance pour les parties et l’arbitre de venir et d’en partir.  Le respect mutuel, l’écoute active ou attentive ou les parties s’écoutent sans se couper la parole ; il est créateur de solutions « brainstorming » en ce que les parties sont appelées à rechercher et proposer le maximum de solutions possibles qui pourraient mettre fin amiablement à leur litige. Et c’est la solution qui leur convient la mieux à toutes, « sur mesure » qui est retenue.                                                                                                                                          
  • Elle permet à l’entreprise et aux parties de décider du calendrier des tenues du processus de médiation compte tenu de leurs emplois du temps respectifs.
  • La médiation est le seul mode non contraignant qui permet, en cas d’accord, de renouer et pérenniser les relations contractuelles. Et les parties qui se séparent après l’accord de médiation sont tous deux contents et l’exécutent avec bienveillance car ce sont eux même qui l’ont trouvé.
  • De plus, il n’y a pas de corruption possible en médiation puisque le médiateur n’a aucun pouvoir décisionnel. Il se sert d’un ensemble d’outils qu’il a appris : écoute active, reformulation, Communication non violente, questionnement socratique, négociation raisonnée, analyse systémique, analyse transactionnelle, le recadrage, la psychologie,  les apartés, le respect des étapes de la médiation pour diriger le processus de médiation dont il est le maître et le garant. Le médiateur aviseur peut suggérer certaines solutions aux parties, mais sans les leurs imposer, et le médiateur accoucheur peut proposer des lignes de réflexion aux parties en usant des méthodes socratiques Pour les amener à réfléchir et à trouver eux-mêmes des solutions.

Toute personne peut devenir médiateur en se formant à la médiation. Pas besoin d’être juriste. Ce qu’il faut respecter c’’est l’ordre publique et ne pas porter atteinte aux intérêts des tiers non parties à la médiation.

  • Enfin, une fois homologué, l’accord de médiation acquiert l’autorité de la force de la chose jugée, et s’exécute d’autant plus aisément que les parties ont été les acteurs et les auteurs de leur décision. Donc pas de voie de recours possible pouvant retarder l’exécution d’une décision de Médiation librement prise par les parties.
  • C’est pour l’ensemble de ces raisons que la médiation prend le pas sur l’arbitrage et la justice étatique, même dans les Affaires Internationales.   
  • La médiation est une école de paix qui devrait s’enseigner même dans les lycées et les écoles. Et J’espère pouvoir arriver un jour à l’enseigner aux enfants et former des médiateurs en herbe pour régler les petits litiges qui peuvent se poser entre enfants à l’école.

Ce pour toutes ces raisons que j’ai porté mon dévolu sur la Médiation.

Vous avez lancé en 2014, le centre de méditation et de formation à la Médiation, à la Négociation et au Droit Ohada. Quelles en sont les spécificités et quelles sont vos attentes relativement à ce projet ?

La Médiation sert à prévenir et à régler toutes sortes de litiges, et dans quelques domaines que ce soit et ça marche quand les parties sont de bonne volonté et désireuses de régler amiablement leur différend ou conflit.

Notre Centre est une institution de médiation qui a pour vocation de prévenir et régler les litiges par la médiation, mais aussi d’enseigner la médiation et de former les médiateurs dans tous les domaines à savoir :

  • civil (familial, succession, conflits de voisinage, de communautés, chocs de cultures etc..),
  • commerciaux : inter- Entreprises, intra entreprise,
  • fonciers et forestiers,
  • fiscaux,
  • propriété intellectuelle,
  • traditionnels, et intra – État  (conférence nationale, Grand Dialogue National),
  • la gestion des ressources naturelles, médiation d’investissement prenant en compte  l’intérêt des populations et la protection de l’environnement,
  • Le droit OHADA.
  • la formation diplômante débouchant sur un diplôme Universitaire est assurée avec le concours de nos partenaires: le C.M.A.P. et l’IFOMENE de l’Institut Catholique de Paris. 

La SCP CEPFOMEN fut créée en 2014 alors qu’il n’existait pas encore de texte sur la médiation ni au Cameroun ni à l’OHADA qui n’a adopté son acte Uniforme OHADA sur la Médiation que le 23 novembre 2017 à Conakry. Acte entré en vigueur le 23/02/2018.

Ce qui nous a permis de former des Médiateurs diplômés titulaires du Diplômes universitaires de niveau I dont l’ICP a donné l’équivalence à la SCP CEPFOMEN.

Quel regard avez – vous sur la place des femmes avocates d’affaires dans l’univers du droit camerounais aujourd’hui ?

L’Avocate d’Affaires a un avenir prometteur pour celles qui sont travailleuses et volontaires. Car C’est un métier est difficile, stressant, prenant qui demande plus de sacrifices et de travail pour la femme Avocate.

En effet, après le travail, c’est elle qui s’occupe de la famille, du suivi des enfants, de l’alimentation du soir et programme celle du lendemain. Veille aux devoirs scolaires des enfants, s’occupe de son mari. Elle doit faire acte de prévoyance pour l’avenir de la famille et remplir ses obligations conjugales même si elle est fatiguée par de longues journées de travail.

Mais elle appartient désormais au réseau International des Femmes Avocates, dont la secrétaire Générale, Mme ZEIFMAN, est une Avocate très efficaces résidant à Paris qui assure la formation gratuite des femmes Avocates dans le monde.  Elles ont des formations gratuites très intéressantes presque toutes les semaines, avec de la jurisprudence. Si elles arrivent à suivre ces programmes de formation, elles iront loin et seront de très bonnes avocates d’affaires.

Si j’ai pu prendre ma place d’Avocate d’Affaires dans notre pays, tout en ayant des occupations familiales de mère célibataire, il n’y a pas de raison qu’elles ne réussissent pas parce qu’elles sont femmes.

Quels conseils pour les jeunes femmes qui rêvent d’une belle et grande carrière comme la vôtre ?

Je leur recommande la persévérance, l’amour du travail bien fait, l’honnêteté avec leurs clients. Parce qu’un un client content se fidélise à votre Étude et vous recommande à d’autres clients. Le respect de la confraternité. D’ajouter l’anglais et des spécialisations pointues à leur formation générale d’Avocate et apprendre en plus les Modes amiables et alternatifs de règlements des différends. Car la plupart des Avocats à l’international qui ambitionnent de venir travailler en Afrique sont au moins : Avocats, Médiateurs, Arbitres et même Formateur et souvent bilingues.  Ce sont des domaines d’avenir dont il faut s’accaparer très vite et qui permettront de mieux gagner sa vie plus facilement et rapidement.

D’ajouter du sport à leur emploi du temps de la semaine. C’est important car le sport  apporte de l’énergie, de l’endurance, aide à évacuer le stress et la fatigue et est bon pour le mental. Ne dit-on pas « un esprit sain dans un corps sain ».

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Un commentaire

  1. J’ai bien connu Me Ada , il y a bien longtemps lorsque nous avons séjourné plus de 3 ans à Douala . Elle était alors jeune avocate et si je suis impressionnée par son parcours je ne suis pas étonnée car Brigitte était déja brillante .
    Je lui ai envoyé un courriel ce jour mais ne sais si ce dernier lui parviendra . Un mail uniquement pour lui rappeler les bons souvenirs que nous gardons d’elle et de sa fille et lui dire combien nous serions heureux d’avoir de ses nouvelles et , qui sait , de la revoir .
    Cordialement
    Françoise Salti

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