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Enquête exclusive : Dans les coulisses de la transformation du port de Douala par Cyrus Ngo’o

Il est 6h du matin sur les quais de Douala-Bonabéri. Dans la brume matinale qui s’élève du Wouri, les silhouettes métalliques des grues se dressent comme des sentinelles modernes. Un ballet incessant de conteneurs, de camions et de navires anime ce qui constitue le poumon économique du Cameroun. Difficile d’imaginer qu’il y a moins de dix ans, ce même port agonisait sous le poids de ses dysfonctionnements.

Un diagnostic sans appel : le naufrage annoncé

« Le port était en train de mourir à petit feu », confie un ancien cadre qui a préféré garder l’anonymat. « Entre la congestion chronique, les procédures kafkaïennes et la gestion défaillante du concessionnaire, nous étions devenus la risée du golfe de Guinée. »

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Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2015, malgré son statut de première plateforme portuaire d’Afrique centrale, Douala peinait à rivaliser avec ses concurrents régionaux. Les navires attendaient parfois des semaines avant d’accoster, les coûts de passage explosaient, et l’image du « pays des lions indomptables » en prenait un coup sur les marchés internationaux.

Pourtant, les enjeux sont colossaux : ce port assure 70% des échanges extérieurs du Cameroun, mobilise 1 365 milliards de FCFA de revenus annuels et fait vivre directement ou indirectement près de 167 000 personnes. Autant dire que son déclin programmé menaçait l’ensemble de l’économie nationale.

L’homme providentiel : Cyrus Ngo’o entre en scène

C’est dans ce contexte dramatique qu’en 2016, Paul Biya fait un pari audacieux : il nomme Cyrus Ngo’o à la tête du Port autonome de Douala. Mission impossible ? L’intéressé ne semble pas s’en émouvoir. Ancien cadre des Douanes formé à l’École nationale d’administration, cet homme de 55 ans affiche une détermination qui force le respect.

« Nous allons reprendre notre destin en main », déclare-t-il dès sa prise de fonction. Une phrase qui pourrait paraître grandiloquente, mais qui cache en réalité une stratégie mûrement réfléchie.

Sa première décision est révolutionnaire : rompre avec la logique de concession qui prévalait depuis des années. En juillet 2017, un décret présidentiel transforme le PAD en groupe doté d’unités autonomes – Terminal à conteneurs, Dragage, Remorquage, Immobilier et Sécurité portuaire. « C’était le retour de la souveraineté de l’État sur son principal outil de développement », explique un expert en économie portuaire.

Opération « mains propres » : nettoyer les écuries d’Augias

Les premières années du mandat de Cyrus Ngo’o ressemblent à un vaste chantier de déblaiement. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’ampleur de la tâche donne le vertige.

Premier défi : nettoyer littéralement le Wouri. 25 épaves de navires encombrent le chenal, transformant la navigation en parcours du combattant. « C’était devenu un cimetière naval », se souvient un pilote du port. « Certaines épaves traînaient là depuis des décennies. »

L’opération de renflouement, menée tambour battant entre 2018 et 2019, coûte des milliards mais permet de sécuriser l’accès au port. Parallèlement, l’acquisition d’une drague aspiratrice assure l’autonomie du PAD en matière d’entretien du chenal.

Mais le chantier le plus symbolique reste sans doute la reconstruction du duc d’Albe pétrolier, cet appontement pour navires pétroliers détruit depuis quinze ans et laissé à l’abandon. « Sa remise en état était devenue un symbole de la renaissance du port », confie un responsable du PAD.

La révolution technologique : quand Douala entre dans le XXIe siècle

En 2020, coup de théâtre : l’État récupère la gestion du terminal à conteneurs. C’est le signal d’une accélération spectaculaire des investissements. Entre 2020 et 2024, la régie investit plus de 44 milliards de FCFA, soit davantage que les 43,5 milliards investis en quinze ans par l’ancien concessionnaire. Un camouflet pour les détracteurs de la gestion publique.

Cette manne financière permet une modernisation sans précédent. Huit portiques de parc (RTG) flambant neufs, deux grues de quai capables de soulever 125 tonnes, 20 tracteurs portuaires Terberg : le PAD se dote d’équipements de dernière génération qui n’ont rien à envier aux plus grands ports mondiaux.

« La transformation était spectaculaire », témoigne un docker. « Du jour au lendemain, nous nous sommes retrouvés à travailler avec des machines que nous n’osions même pas rêver. »

Le renouvellement de la flotte de remorqueurs illustre parfaitement cette montée en gamme. En octobre 2023, Cyrus Ngo’o signe avec Damen Shipyards un contrat de 11,66 milliards de FCFA pour la construction de deux remorqueurs ASD 2811 de 60 tonnes de traction. Une première depuis la fin de la concession avec Boluda.

Le pari de la digitalisation

Mais la révolution technologique ne s’arrête pas aux équipements. Cyrus Ngo’o mise également sur la digitalisation des procédures. Un partenariat avec CPA/Autodesk permet de former les ingénieurs du terminal à l’utilisation du Building Information Modeling (BIM), une technologie de modélisation numérique révolutionnaire.

« Nous sommes passés du Moyen Âge à l’ère numérique en quelques années », s’enthousiasme un ingénieur du PAD. « Aujourd’hui, nous pouvons modéliser nos projets et détecter les conflits avant même le début des travaux. »

Les chantiers pharaoniques : quand l’ambition devient réalité

Mars 2023 : inauguration du quai polyvalent du terminal bois. Ce projet de plus de 10 milliards de FCFA remplace un quai vieux de 50 ans par une infrastructure ultramoderne de 227 mètres de long. « C’était un symbole fort », explique un responsable portuaire. « Nous montrions que nous étions capables de livrer des projets d’envergure dans les temps et les budgets. »

Mais le plus spectaculaire reste à venir. En mars 2022, Cyrus Ngo’o signe la convention pour la construction du terminal mixte de vrac, un projet colossal de 280 milliards de FCFA. Sur 42 hectares, deux postes à quai totalisant 900 mètres vont révolutionner la capacité de réception du port.

« C’est le plus gros investissement portuaire de l’histoire du Cameroun », confie un proche du dossier. « Ce terminal va propulser Douala dans la cour des grands ports africains. »

L’extension du terminal à conteneurs : l’objectif d’un million d’EVP

Juillet 2025 : pose de la première pierre de l’extension du terminal à conteneurs (quai 17). Ce projet de 47,2 milliards de FCFA en partenariat public-privé prévoit 250 mètres de quai supplémentaire et 7,9 hectares de terre-pleins.

L’objectif affiché fait tourner les têtes : porter le trafic de 380 000 EVP à plus d’un million d’EVP à l’horizon 2030. « C’est un défi énorme », reconnaît un expert portuaire. « Mais au rythme où vont les choses, c’est tout à fait réalisable. »

En parallèle, la convention signée en mai 2025 pour la création d’une plateforme logistique de 25 hectares destinée aux conteneurs vides (50,4 milliards de FCFA) témoigne d’une vision globale de l’écosystème portuaire.

Dibamba : la vision industrielle de Cyrus Ngo’o

Octobre 2024 : signature du partenariat avec ARISE IIP pour développer la zone industrielle et portuaire de Dibamba. Sur 517 hectares, ce projet pharaonique comprend un hub logistique multimodal, un parc industriel intégré et un centre de formation.

« C’est la cerise sur le gâteau », explique un conseiller du PAD. « Avec Dibamba, nous créons un véritable écosystème industriel qui va délocaliser une partie des activités portuaires et soulager la congestion à Douala. »

Les résultats : quand les chiffres parlent

Aujourd’hui, les performances du PAD forcent l’admiration. Le port mobilise 85% des recettes douanières du pays, soit quelque 700 milliards de FCFA. Une success story qui ne doit rien au hasard.

« Les indicateurs sont au vert sur toute la ligne », se félicite un cadre du PAD. « Temps d’attente réduits, capacité de traitement multipliée, satisfaction client en hausse : nous avons réussi notre pari. »

Les 16 000 m² de terre-pleins réhabilités et les nouvelles voies RTG témoignent d’une transformation en profondeur. « Le port d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui de 2016 », confirme un habitué des lieux.

Les défis à venir : maintenir la dynamique

Malgré ces succès éclatants, Cyrus Ngo’o ne se repose pas sur ses lauriers. L’horizon 2030 s’annonce chargé avec la mise en service progressive de tous les projets en cours.

« Notre ambition, c’est de faire de Douala le hub portuaire de référence en Afrique centrale », martèle-t-il. « Nous avons les infrastructures, nous avons la vision, nous avons les hommes. Il ne nous reste plus qu’à livrer. »

Un pari audacieux ? Sans doute. Mais au regard du chemin parcouru depuis 2016, rares sont ceux qui osent encore parier contre l’homme qui a ressuscité le géant de Douala.

Épilogue : la renaissance d’un symbole

En moins d’une décennie, Cyrus Ngo’o a réussi l’impossible : transformer un port mourant en plateforme logistique de classe mondiale. Sa recette ? Un mélange savant de souveraineté retrouvée, d’innovation technologique et d’ambition démesurée.

Aujourd’hui, quand les navires accostent dans la rade de Douala, ils ne voient plus un port africain en retard sur son temps, mais une infrastructure moderne capable de rivaliser avec les meilleurs standards internationaux. La métamorphose est spectaculaire, et elle porte un nom : Cyrus Ngo’o.

L’homme qui a relevé le défi de Douala sait qu’il écrit l’histoire. « Dans vingt ans, nos enfants nous remercieront d’avoir eu le courage de reprendre notre destin en main », confie-t-il. Une phrase qui résonne comme un testament pour l’homme qui a rendu sa fierté au port du Cameroun.

Mérimé Wilson & Oswald F

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