Séparation de PwC Afrique subsaharienne francophone du réseau mondial : contexte, impacts et perspectives

Le 31 mars 2025, un tournant majeur est survenu dans le secteur de l’audit et du conseil en Afrique : PwC a annoncé la séparation de ses cabinets d’Afrique francophone subsaharienne – couvrant dix pays dont la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Cameroun, la RDC, le Congo, Madagascar, la Guinée, le Sénégal, la Guinée Équatoriale et le Tchad – du reste de son réseau mondial. Cette décision inédite, prise « après un examen stratégique approfondi », soulève de nombreuses questions quant à ses justifications, ses conséquences pour les différents acteurs et l’avenir de ces firmes désormais indépendantes. L’analyse qui suit fait le point, dans un dossier économique neutre et documenté, sur le contexte de cette rupture, ses impacts potentiels et les perspectives qui en découlent pour le conseil en Afrique.
Contexte : PwC en Afrique francophone, entre ancrage local et enjeux globaux
Une présence historique et leader dans la région
PwC opérait de longue date en Afrique subsaharienne francophone, avec une présence de plus de 50 ans aux côtés des acteurs publics et privés locaux. Sous l’égide de PwC France et Afrique francophone, la firme s’était implantée dans une quinzaine de bureaux couvrant 17 pays de la sous-région. Forte d’une trentaine d’associés et de plus de 700 collaborateurs dans ces pays, PwC y revendiquait la position de « leader sur l’ensemble de ses métiers en Afrique subsaharienne ». Sur l’exercice clos en juin 2017, la branche Afrique francophone subsaharienne de PwC affichait un chiffre d’affaires d’environ 50 millions d’euros, avec l’ambition d’accroître ces revenus de 40 % en cinq ans. Cette envergure témoigne de l’importance stratégique que revêtait la région pour le réseau, en partenariat étroit avec PwC France.
Un marché africain du conseil en plein essor
La rupture intervient alors que le marché du conseil et de l’audit en Afrique connaît une croissance rapide. En 2024, l’Afrique figurait parmi les zones de plus forte expansion pour les grands réseaux internationaux, avec une progression annuelle avoisinant +17 %, supérieure à la moyenne mondiale. L’Afrique de l’Ouest notamment s’impose comme l’une des régions les plus dynamiques en matière de conseil, portée par la transformation économique de pays comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal ou le Ghana, et par la demande de services liée aux investissements publics (infrastructures, énergie) et privés (banques, télécoms, nouvelles technologies). Dans ce contexte, la présence des Big Four (PwC, Deloitte, EY, KPMG) en Afrique subsaharienne est un atout majeur pour accompagner les multinationales, les investisseurs et les gouvernements.
Des motifs stratégiques et tensions internes à l’origine de la séparation
Officiellement, la décision de séparation résulte d’une réévaluation stratégique conjointe entre PwC International et les partenaires africains, visant à « mieux répondre aux besoins de leurs marchés et de leurs clients » grâce à une autonomie locale accrue. Cependant, en coulisses, cette rupture ferait suite à des difficultés internes persistantes. D’après des sources proches du dossier, plusieurs années de tensions de gouvernance au sein de PwC Afrique francophone subsaharienne et des « manquements aux standards imposés par PwC Global » auraient conduit la maison-mère à envisager des mesures radicales. Le géant mondial de l’audit, soucieux de préserver la qualité et l’intégrité de son réseau, aurait ainsi entamé dès 2024 des discussions avec la direction régionale africaine afin de redresser la situation. Ces négociations au sommet se seraient étalées sur huit mois environ. Sur fond de divergences non résolues, la décision a finalement été actée début 2025 : PwC retirerait sa licence à l’ensemble de cette branche régionale, entraînant son départ du réseau mondial.
Il s’agit d’un cas rare de « divorce » au sein d’un Big Four, tant par son ampleur géographique que par l’ancienneté des liens rompus. Les raisons exactes n’ont pas été détaillées publiquement, mais l’enjeu de conformité aux exigences du réseau international (qualité des audits, gouvernance financière, gestion des risques) apparaît central dans cette affaire. L’événement illustre la ferme volonté de PwC Global de maintenir une discipline uniforme à travers le monde, y compris au prix d’un retrait douloureux d’une région à fort potentiel.
Impacts : quelles conséquences pour les clients, les cabinets et le secteur ?
Pour les clients locaux et internationaux
À court terme, PwC assure avoir pris des mesures pour minimiser la perturbation du service. Un plan de transition coordonnée et de continuité d’activité a été déployé afin de garantir un accompagnement sans rupture des clients existants. Concrètement, les missions en cours devraient être honorées par les équipes locales indépendantes, avec un soutien éventuel d’autres bureaux PwC dans la région si nécessaire. Néanmoins, certains grands clients internationaux pourraient se montrer inquiets de ne plus avoir affaire à une entité estampillée Big Four. Pour les entreprises multinationales, les bailleurs de fonds ou les investisseurs étrangers opérant dans ces pays, la perte du label PwC peut soulever des questions de fiabilité à moyen terme. À l’inverse, la clientèle strictement locale (PME, administrations) pourrait être moins sensible à la marque et continuer avec les mêmes équipes, surtout si la qualité de service est maintenue.
Pour les cabinets locaux scindés du réseau
Le changement est structurel. Ces dix bureaux autrefois membres de PwC perdent l’usage du nom et des ressources mutualisées du réseau mondial. Ils doivent se repositionner sous une nouvelle identité (marque propre ou éventuel nouveau réseau) et revoir leur organisation interne en l’absence de la supervision internationale. Un défi immédiat sera de retenir les talents. Les associés, de leur côté, voient s’évanouir le bénéfice du knowledge sharing global. Financièrement, ces cabinets gagnent certes en autonomie les montants auparavant reversés en redevances au réseau, mais ils perdent l’effet de synergie et de référencements internationaux. En revanche, cette indépendance forcée peut aussi constituer un électrochoc salutaire. Leur survie et prospérité dépendront de la cohésion du partenariat et de la crédibilité qu’ils sauront établir en tant qu’acteurs locaux de premier plan.
Pour le réseau mondial PwC
Le retrait de l’Afrique francophone subsaharienne représente une contraction géographique notable. PwC se prive d’une présence directe dans plusieurs économies africaines en croissance, ce qui pourrait temporairement affaiblir sa couverture du continent face à ses concurrents. D’un point de vue de réputation, cette séparation peut être perçue comme le symptôme d’un échec de la gouvernance régionale, mais elle démontre aussi une fermeté dans l’application des règles déontologiques. À plus long terme, on peut s’attendre à ce que PwC cherche des moyens de reconquérir ces marchés francophones.
Pour le secteur du conseil en Afrique
L’éviction d’un acteur de la stature de PwC dans ces pays pourrait redistribuer les cartes. Les autres Big Four présents localement vont tenter de capter les clients et talents ébranlés par la transition. Parallèlement, les cabinets de conseil et d’audit dits mid-tier pourraient trouver une fenêtre d’opportunité. Il est aussi possible que les ex-membres de PwC s’organisent en un nouveau réseau africain indépendant. Cet épisode pourrait inciter les clients – notamment publics – à diversifier davantage leurs recours en conseil et encourager les autorités à valoriser des experts locaux.
Perspectives : quel avenir pour ces firmes indépendantes et quelles implications à long terme ?
Vers de nouveaux modèles pour les ex-PwC africains
Maintenant indépendants, les cabinets d’Afrique subsaharienne francophone entrent dans une phase d’incertitude mais aussi de renouveau potentiel. Un premier scénario serait le maintien de leur autonomie collective avec une marque commune. Un second scénario consisterait à rejoindre un autre réseau international. Enfin, PwC lui-même pourrait chercher à reconstituer progressivement sa présence dans ces marchés, après assainissement de la situation actuelle.
Risques et opportunités de l’autonomie
Devenir des cabinets indépendants comporte des risques importants : érosion du portefeuille clients, fragmentation, perte de compétitivité face aux autres Big Four. Mais des opportunités émergent également : agilité stratégique, innovation locale, valorisation d’une expertise africaine. Leur réussite dépendra de leur capacité à rassurer, à investir et à collaborer efficacement au sein ou hors d’un éventuel nouveau réseau.
Implications géoéconomiques plus larges
La sortie de PwC est aussi révélatrice d’une tendance plus large : l’Afrique cherche à développer ses propres champions et à réduire sa dépendance aux grandes multinationales. Cette séparation pourrait ouvrir une ère de plus grande autonomie stratégique dans le domaine du conseil, où la montée en puissance d’acteurs africains crédibles devient un enjeu de souveraineté économique.
Mérimé Wilson