Fabrice Ndjodo, l’architecte financier camerounais au cœur de la bataille pour Chococam

Pendant longtemps, son nom circulait surtout dans les cercles feutrés du private equity africain, loin des projecteurs. L’affaire Chococam va brutalement changer la donne. En quelques semaines, Fabrice Ndjodo, 48 ans, financier camerounais formé à HEC Paris et à la Harvard Business School, se retrouve au centre d’un des dossiers les plus sensibles de l’économie camerounaise récente : la cession de la Chocolaterie Confiserie Camerounaise par le sud-africain Tiger Brands.

Derrière les communiqués officiels, les polémiques et les jeux d’influence, se dessine le parcours d’un professionnel qui a choisi de mettre son expertise internationale au service d’une ambition : structurer des opérations capables de rééquilibrer le rapport de force entre capitaux africains et multinationales.

Des racines camerounaises, une formation au plus haut niveau

Né au Cameroun à la fin des années 1970, Fabrice Ndjodo appartient à cette génération qui a grandi dans un pays encore porté par les promesses du « miracle camerounais », mais qui fera ses armes dans un environnement marqué par les plans d’ajustement, les privatisations et l’ouverture des marchés. Très tôt, il comprend que le pouvoir se joue aussi – et peut-être surtout – du côté de la finance.

Il suit un parcours académique d’excellence qui le mène à HEC Paris, l’une des plus prestigieuses écoles de management d’Europe, puis à la Harvard Business School, où il décroche un MBA. Cette double culture académique franco-américaine va marquer sa manière d’aborder les dossiers : rigueur analytique, culture du deal, obsession de la création de valeur, mais aussi sens aigu des enjeux de gouvernance.

Les années d’apprentissage : IFC, Liquid Africa, Tana Africa

Avant de créer ses propres structures, Fabrice Ndjodo se rôde dans les grandes maisons de la finance internationale. Il passe notamment par des fonctions d’analyste et de banquier d’affaires spécialisées sur l’Afrique, puis rejoint Liquid Africa, une boutique de conseil financier basée à Johannesburg, focalisée sur les levées de capitaux en Afrique subsaharienne.

Cette expérience l’amène à travailler au contact direct de groupes africains en quête de financement, de fonds d’investissement internationaux et de grandes banques. Il y développe une expertise rare sur les transactions transfrontalières, les marchés de capitaux et les besoins spécifiques des entreprises africaines familiales ou dirigées par des entrepreneurs de première génération.

Il franchit ensuite un cap en devenant Managing Director (Directeur général) de Tana Africa Capital, un fonds de private equity conjointement détenu par E. Oppenheimer & Son et Temasek Holdings, doté de près de 600 millions de dollars d’actifs sous gestion et basé entre Johannesburg et Abidjan.

À ce poste, il pilote des investissements en Afrique de l’Ouest et du Centre, accumulant plusieurs centaines de millions d’euros de deals dans des secteurs comme l’agroalimentaire, la grande consommation ou l’éducation.

Ce passage par Tana Africa Capital l’installe définitivement dans la cour des grands du private equity africain : accès aux grands dossiers, maîtrise des standards internationaux, compréhension fine des attentes des investisseurs de long terme.

Afrotopia : une plateforme d’investissement pensée depuis l’Afrique

Fort de cette expérience, Fabrice Ndjodo tourne une page : il quitte le confort des grandes maisons pour lancer sa propre plateforme. Il fonde Afrotopia Partners / Afrotopia Capital, société d’investissement basée à Abidjan, dont il est le fondateur et PDG.

Afrotopia se positionne comme un conseil stratégique et financier pour les investisseurs institutionnels africains et pour des dossiers complexes mêlant enjeux de souveraineté, d’industrialisation et de contrôle d’actifs stratégiques. Dans son ADN, une conviction : l’Afrique doit cesser d’être seulement un terrain de chasse pour les capitaux étrangers, et devenir un espace où les investisseurs africains – publics comme privés – prennent la main.

Cette volonté d’inscrire la finance dans une perspective de transformation économique se retrouve aussi dans son engagement sociétal : Fabrice Ndjodo siège notamment au conseil consultatif de l’association Sunu Bibliotech, qui promeut l’accès au savoir et à la lecture pour la jeunesse africaine.

MINKAMA Capital : un véhicule pour peser dans les grandes transactions

Parallèlement, il promeut MINKAMA Capital, un fonds d’investissement basé à Maurice, lancé à partir de 2017. MINKAMA se veut un véhicule capable de structurer des opérations sur des actifs de taille significative sur le continent, en attirant des capitaux régionaux et internationaux.

C’est ce fonds qui apparaît au cœur de la cession par Tiger Brands de ses 74,7 % dans Chococam. Selon des informations publiées par Cameroun Eco, Tiger Brands aurait accepté de céder sa participation à MINKAMA Capital, en partenariat avec la banque BGFI, pour une valorisation d’entreprise d’environ 100 millions de dollars.

Autrement dit, Fabrice Ndjodo ne se contente plus d’être conseiller : il devient acteur des transactions, à travers des véhicules dont il assure la conception et la promotion.

Chococam : un dossier à la croisée de la finance et de la souveraineté

Le dossier Chococam dépasse très vite le cadre d’un simple deal financier. La marque, présente au Cameroun depuis les années 1960, est devenue un symbole industriel et affectif : chocolats, confiseries, emplois directs et indirects, transformation du cacao local… Un véritable « fleuron » industriel, comme aiment le rappeler les acteurs du dossier.

Lorsque Tiger Brands décide de se désengager, plusieurs prétendants se positionnent : la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS), bras financier social de l’État camerounais ; le groupe Cadyst de l’industriel Célestin Tawamba ; et le véhicule MINKAMA Capital promu par Fabrice Ndjodo.

La CNPS mandate officiellement Afrotopia Capital, la société fondée par Fabrice Ndjodo et basée à Abidjan, pour l’accompagner dans l’acquisition des 74,7 % de parts détenues par Tiger Brands.

Dans plusieurs analyses, ce mandat est présenté comme le symbole d’un acte de souveraineté économique : pour la première fois, un organisme de sécurité sociale camerounais se positionne frontalement pour reprendre le contrôle d’un actif industriel stratégique, avec l’appui d’un conseil financier dirigé par un Camerounais installé au cœur des circuits du capital-investissement africain.

Polémique, bataille de narratifs et mise au point de la CNPS

Très vite pourtant, le dossier s’enflamme. Certains médias parlent d’un rachat acté par la CNPS, présenté comme une « révolution patriotique » ou un « tournant historique » pour la souveraineté économique du Cameroun.

Face à cette communication parfois précipitée, la CNPS publie une mise au point officielle, démentant avoir finalisé l’acquisition de Chococam et rappelant qu’aucune transaction n’est encore conclue.

Dans le même temps, la presse économique relève que la CNPS se serait finalement retirée de la course, jugeant le prix demandé par Tiger Brands trop élevé, alors même qu’Afrotopia Capital l’accompagnait comme conseil financier.

D’autres acteurs, à commencer par le groupe Cadyst de Célestin Tawamba, revendiquent eux aussi un accord ou une avance significative dans les négociations. Des articles évoquent une « bataille explosive pour 60 milliards de FCFA », où s’opposent plusieurs narratifs : celui du patriotisme économique, celui de la rationalité financière, celui des ambitions industrielles privées.

Dans ce tumulte, le nom de Fabrice Ndjodo apparaît à plusieurs niveaux :

Autrement dit, il est à la fois structurateur des offres et pivot entre plusieurs pôles de capitaux africains – publics et privés – engagés dans la bataille pour Chococam.

Ce que révèle « l’affaire Chococam » du style Ndjodo

Au-delà des polémiques, le dossier Chococam met en lumière la manière dont Fabrice Ndjodo conçoit son métier.

  1. Une approche d’ingénierie financière sophistiquée
    Les montages envisagés autour de MINKAMA Capital, l’adossement à une banque comme BGFI et le mandat reçu de la CNPS illustrent une capacité à combiner fonds d’investissement, capital institutionnel et financement bancaire pour boucler des tickets de l’ordre de 60 milliards de FCFA – 100 millions de dollars.
  2. Une volonté assumée de repositionner les capitaux africains
    Qu’il conseille un investisseur public comme la CNPS ou qu’il structure un véhicule privé comme MINKAMA, le fil rouge est le même : replacer des acteurs africains au centre des décisions sur les actifs industriels du continent, trop souvent contrôlés depuis Johannesburg, Londres ou Paris.
  3. Un rôle de go-between entre sphères locales et globales
    Son parcours – HEC, Harvard, private equity international, puis création d’Afrotopia à Abidjan – en fait un passeur entre les exigences des grands fonds et les réalités des économies locales. Ce positionnement lui permet de parler à la fois aux boards d’investisseurs et aux décideurs publics africains.
  4. Une exposition accrue aux critiques
    Parce qu’il intervient dans des dossiers hypersensibles impliquant l’État, la sécurité sociale, des industriels nationaux et des intérêts étrangers, il est mécaniquement exposé aux procès en opacité et aux lectures complotistes. L’« affaire Chococam » a montré combien, dans un contexte de méfiance généralisée, le moindre flou de communication peut être instrumentalisé – y compris contre les architectes techniques des transactions.

Un financier d’influence à suivre

Avec Afrotopia Capital et MINKAMA Capital, Fabrice Ndjodo s’est imposé comme l’un des rares financiers africains capables de peser à la fois dans les discussions avec des multinationales sortantes – comme Tiger Brands – et dans la mobilisation de capitaux africains désireux de reprendre la main sur des actifs stratégiques.

À 48 ans, son itinéraire raconte aussi l’évolution d’une génération : celle de cadres africains formés dans les grandes écoles du Nord, passés par les fonds internationaux, qui reviennent structurer leurs propres véhicules et défendre une vision de la souveraineté économique moins incantatoire et plus opérationnelle.

L’histoire de Chococam n’est pas encore totalement écrite et continuera de susciter débats et passions au Cameroun. Mais une chose est sûre : qu’on l’interprète comme un patriote de la finance, un pur technicien des deals ou un stratège discret, Fabrice Ndjodo est désormais une figure centrale de la nouvelle géopolitique du capital en Afrique centrale.

Mérimé Wilson

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